Faut-il abandonner la langue française ?
Le combat pour la langue française a été perdu avec Internet dans les années 1990. Sept ans après avoir tout fait pour empêcher le développement d'Internet en France, le gouvernement (NB : les mêmes) cherche à se rattrapper. Il s'agit là d'un combat d'arrière-garde, qui ne fera qu'augmenter le retard français. Pourquoi ne pas basculer dès maintenant à l'anglais ?
Le 30 octobre 2003, Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre de la République Française a lancé un grand appel au développement d'Internet en France :
"Il faut une vraie mobilisation nationale pour rattraper notre retard en équipements de micro-ordinateurs et faire d'internet ce médium de connaissances et d'échanges dont beaucoup de Français peuvent avoir besoin pour vivre à l'aise dans le XXIe siècle."[1]
Bien sûr, cette grande campagne de communication correspond à un retournement total comparativement à celles, tout aussi gouvernementales, qui visaient à interdire Internet du milieu des années 1990. A l'époque, on nous expliquait qu'il fallait contrôler ce média, et que la liberté américaine ne devait pas pouvoir se retrouver en France. On peut s'interroger sur l'impact qu'aura cette nouvelle campagne : réussira-t-elle à réduire, ne serait-ce que partiellement, le retard français ? Mais la question n'est même plus là, elle est maintenant : suffira-t-il qu'il y ait plus d'ordinateurs pour que que les Français puissent "vivre à l'aise dans le XXIe siècle" ?
Personne ne remet plus en cause l'importance d'Internet dans le monde actuel. En moins de 10 ans, Internet est devenu le médium quasi exclusif de la plupart des domaines : les recherches scientifiques se passent sur Internet, les informations valides (différentes des propagandes officielles) se trouvent sur Internet, même les actions les plus concrètes, comme les recherches d'informations sur les voitures à acheter ou les lieux où passer ses vacances se font sur Internet, les billets nécessaires s'y achetant aussi. Peut-on encore vivre pleinement sans Internet ?
Il y a cependant un hic. Bien sûr que l'on trouve tout cela sur le Net, bien sûr que les avantages qu'il apporte sont tellement nécessaires que si la France ne rattrappe pas son retard, alors elle s'enfoncera dans sa déchéance. Ce n'est pas parce que le Premier Ministre a 10 ans de retard qu'il a tort : il faut développer Internet en France. Le hic, c'est que sur Internet tout se passe en anglais, pas en français.
Pendant la seconde moitié des années 1990, le Québec s'est retrouvé un peu seul pour porter on line le flambeau de notre langue : la Belgique était trop occupée dans ses problèmes politiques internes, et la France ne faisait que s'inquiéter devant les "risques de dérive d'Internet". Pendant qu'en France on nous ressassait des problèmes liés aux réseaux pédophiles [2], aux réseaux Nazis, pendant qu'on nous assénait qu'il fallait interdire, censurer, contrôler, mettre des barrières de protection, pendant ce temps-là, les autres pays publiaient. Et le rapport en faveur de l'anglais n'a fait qu'empirer. Déjà début 1997, alors que le site Douance [3] était le premier site francophone parlant de surdouement, des sites anglophones de plusieurs milliers de pages étaient accessibles gratuitement. Comparez maintenant le site Evopsy [4], le premier site francophone à parler de psychologie évolutionniste, avec l'anglophone Human Nature ! [5]
Et le mouvement s'accélère : les annonces scientifiques se font en anglais, les informations mondiales se communiquent en anglais, et plus personne n'a le temps de faire les traductions. Celui qui comprend l'anglais a intérêt à se reporter directement aux sources anglophones, et celui qui ne le comprend pas ne peut déjà plus suivre. Ou, dit plus directement : ne pas savoir l'anglais aujourd'hui est l'équivalent de ce qu'était ne pas savoir lire il y a un siècle.
Bien sûr, cette déchéance du français ne date pas d'Internet. Mais celui-ci a offert un instant rarissime où tout pouvait repartir de zéro, une nouvelle course pour décider quelle langue allait supplanter les autres : une nouvelle chance. A cette course décisive, l'anglais partait gagnant, mais le français n'était pas perdant. Un fort développement d'Internet en France aurait suffit à imposer le français comme une langue certes alternative, mais quand même indispensable. Hélas, le gouvernement a fait ce qu'il sait faire, il a cherché à contrôler, à centraliser, à limiter, à interdire, et la défaite est définitive. On peut s'en plaindre, mais il faut l'accepter [6].
Si le Premier Ministre voulait véritablement "faire d'internet ce médium de connaissances et d'échanges", alors il généraliserait l'apprentissage de l'anglais dès la maternelle, il supprimerait les lois qui obligent à l'exclusivité du français dans les documents administratifs, il autoriserait les administrations et sociétés publiques à ne publier online qu'en anglais, il encouragerait les échanges linguistiques, il développerait les cours de langue pour adultes. Pourquoi continuer d'accumuler les retards dus aux délais de traduction ?
©Philippe Gouillou
31 octobre 2003 (MàJ : 8 novembre 2003 - 2 décembre 2003)
Notes
AFP : jeudi 30 octobre 2003, 18h48 : Le gouvernement lance une campagne de promotion de l'internet
Tout indique que ces réseaux pré-existaient à Internet, et qu'ils n'ont pu être découverts que grâce à Internet.
https://douance.org. A l'époque : st-kilda.com/douance. Février 1997.
C'est ce qu'ont très bien compris d'autres pays, comme la Tunisie qui, d'origine francophone, a déjà mis en place un programme au long cours de basculement à l'anglais.
©Philippe Gouillou - 31 octobre 2003