Hypothèse 79 : Masculinité toxique
Il rentra chez lui, il avait déjà fait assez de mal pour la journée, pas la peine d'en rajouter.
L'angoisse de la culpabilité le saisit brutalement, il en eut presque le souffle coupé. Il n'arrivait pas à se relaxer. Il savait ce qu'il avait fait de mal, et c'était impardonnable, il le savait. Heureusement que personne ne pouvait le deviner : ce n'était pas son comportement qui était fautif, il avait su rester discret, mais ses idées. Mais la culpabilité est à l'intérieur de soi.
La fille était jeune, 23-25 ans probablement, l'âge du top beauté, c'est-à-dire du top fécondité. Sa tenue ultra-moulante hyper-fine était parfaitement peinte pour reproduire tous les détails de sa peau. C'était le nouveau style "Nude" : totalement nue, mais avec les avantages des vêtements. Il ne l'avait regardée que le temps qu'il fallait, pas plus : juste assez pour ne pas la bousculer en la croisant (ça aurait été une agression sexuelle) sans être accusable de voyeurisme. Mais ça avait suffit.
Blonde vénitienne à la peau pâle, très fine, la fille était vraiment son type, celui qui l'avait poursuivi tout au long de sa vie, qu'il avait connu, parfois. Bien sûr elle correspondait à une mode maintenant interdite, aux critères de beauté d'avant la diversité : sa couleur de peau devait souvent lui être reprochée, de même qu'elle ne se teigne pas en brune et ne cache pas ses yeux bleus par des lentilles de couleur. Mais, sans doute s'était-ce marqué pendant son adolescence, il avait toujours été attiré par ces femmes évanescentes, même si c'était raciste, il n'y pouvait rien. Et, pour la première fois depuis longtemps, ce quart de seconde où il l'avait aperçue avait suffit à réveiller un reste d'envie sexuelle, très fugace mais réel. C'était une agression sexuelle en pensée, un quasi-viol, heureusement qu'il avait su le cacher. Pire, et la tenue qui dévoilait précisément tous les détails de l'anatomie n'en laissait strictement aucun doute, il ne s'agissait pas d'une vraie femme mais d'une FSP, une Femme Sans Pénis, ce qui rajoutait que son envie sexuelle était transphobe.
Il s'arrêta devant un kiosque à journaux pour essayer de se calmer. De nombreux magazines mettaient en Une des modèles correspondant parfaitement aux critères de beauté obligatoires du moment : des transsexuels à la peau cuivrée, aux cheveux bruns et aux yeux marrons, avec un visage type africain. Presque tous les titres concernaient la sexualité : comment avoir plus d'orgasmes, comment avoir des orgasmes plus fort, orgasme, orgasme, ce mot était sur toutes les couvertures. Bien sûr, juste à côté, un produit de beauté cher était promu : une crème bronzante ou une teinture foncée pour les cheveux. Il repéra aussi plusieurs attaques contre la grossophobie des hommes blancs, et systématiquement la mise en avant d'un homme "issu de la diversité". Toutes les couvertures insistaient sur sa culpabilité.
Il repensa à la blonde vénitienne si belle et se rappela les regards de haine de toutes les femmes qui l'observaient. C'était pour éviter leur traumatisme que des lois avaient été imposées, et lui ne les avait pas respectées. Il rentra chez lui, il avait déjà fait assez de mal pour la journée, pas la peine d'en rajouter.
©Philippe Gouillou - Vendredi 19 novembre 2021