Hypothèse 39 : Surdoué
Le QI ne veut rien dire, la preuve : elle avait passé le sien et elle avait un QI tout à fait moyen, alors qu'elle était très intelligente, elle le savait.
Sa séquence était aujourd'hui sur le réchauffement climatique et la lutte contre la pollution des hommes blancs, sa préférée, elle avait tout bien préparé. Elle savait que ses élèves allaient adorer.
Elle commença par diffuser un extrait du film d'Al Gore, commencer par une vidéo est important, les élèves ne lisent plus, leur donner un texte est les repousser, il ne faut surtout pas sur un sujet si important. Ensuite elle lança le débat : pourquoi les femmes issues de la diversité sont les principales victimes des actions des hommes blancs qui détruisent la planète. Tous les élèves étaient impliqués et participaient avec enthousiasme. Asmah raconta que dans son pays les colons avaient créé une usine qui employait beaucoup de monde et qu'elle polluait énormément, Mohamed surenchérit en signalant que dans son pays où il fait déjà très chaud, 4° de plus à cause de la pollution serait mortel pour tous, que c'était un génocide. Chacune et chacun donnait un exemple de son pays : l'ambiance était parfaite, elle avait su créer l'environnement d'apprentissage qu'il fallait.
Tous, sauf un. Il était un des rares "sous-chiens" de la classe, et le seul qui posait problème, les autres ne critiquaient jamais, ils étaient toujours d'accord avec les animations de groupe, très participatifs, ils avaient accepté leur place. Lui, c'était autre chose. Il avait toujours des réflexions bizarres, qui ne pouvaient intéresser personne, et auxquelles il s'accrochait. Elle faisait généralement avec, elle était tolérante, mais là il dépassait les bornes. Il se permit même de critiquer le film d'Al Gore, en disant qu'il était connu qu'il était mensonger, qu'il avait juste servi à faire la fortune de l'ex Vice-Président qui avait gagné des dizaines de millions de dollars avec son discours.
Heureusement tous les autres élèves lui étaient directement tombé dessus. Ils avaient hurlé pour qu'il se taise. Ils savaient tous instinctivement que son discours allait casser cette formidable harmonie que le film avait créé, qu'aucun ne devait émettre ne serait-ce que la moindre critique, que c'était haram.
Mais lui poursuivait, il semblait ne pas accepter de se soumettre à la règle démocratique de la majorité. Il dit que la célèbre courbe en hockey était un fake, qu'aucune des prédictions du GIEC n'avait jamais été vérifiée par la réalité, que le nombre d'ours blancs était en augmentation, bref toutes les choses que répètent les climato-sceptiques alors même que la presse leur dicte l'inverse.
Elle ne le comprenait pas. Elle l'avait d'abord pris pour un handicapé mental, et l'avait envoyé chez le Psychologue Scolaire, mais celui-ci lui avait diagnostiqué un QI supérieur à 145. "Exceptionnellement intelligent" avait-il noté dans son rapport. Elle ne comprenait pas : s'il était si intelligent il aurait du s'engager pour les enjeux politiques du moment, il penserait comme elle, c'était bien la preuve que le QI ne veut rien dire. Le problème est qu'il avait appris son résultat, et depuis ne cherchait même plus à faire d'effort pour se rapprocher des autres, pour penser comme eux, pour s'exprimer comme eux. Elle avait été s'en plaindre à la Directrice, et celle-ci était d'accord, mais elle ne pouvait rien faire, c'est ce qu'elle lui avait dit.
Et puis il dit la phrase de trop : "Les femmes victimes des hommes blancs, c'est celles avec ou sans pénis ?"
L'agression transphobe devait être condamnée, elle ne pouvait la tolérer dans sa classe. Ce morveux qui se croyait supérieur à cause de son QI remettait en cause tout l'engagement de l'Education Nationale pour un Monde Meilleur, il fallait sévir, elle avait été trop tolérante et il en profitait. Pourquoi la Directrice ne l'avait-elle pas suivie quand elle l'avait dénoncé ? Maintenant toute la classe en payait le prix. Certains élèves semblaient même perplexes, comme s'ils cherchaient à trouver un sens à ce qu'il avait dit, sans le moindre début de succès. Il ne fallait pas que toute une classe soit traumatisée à cause des pensées déviantes de quelqu'un qui n'avait que son QI pour lui ! Toute l'intelligence collective qu'elle avait su faire naître avec le film d'Al Gore s'était évanouie.
Quelle stupidité ce QI ! Comme si tout le monde ne savait pas qu'il ne veut rien dire, la preuve : elle avait passé le sien et elle avait un QI tout à fait moyen, alors qu'elle était très intelligente, elle le savait. Peut-être que le QI était sexiste : c'est parce qu'il était un garçon et elle une femme que leurs résultats s'opposaient autant, encore une marque du patriarcat dominant, il faudrait qu'elle en parle lors de la prochaine réunion de la cellule de quartier, tout le monde devait profiter de son savoir d'intellectuelle.
Elle le fit sortir de la classe et commença à réfléchir à son rapport. Il fallait que plus personne n'accorde jamais la moindre attention aux élucubrations qu'il pouvait sortir. Il fallait non seulement qu'il soit viré immédiatement mais qu'aucune école ne l'accepte plus jamais, qu'il ne puisse pas faire d'études mais aille en apprentissage, qu'il apprenne ce qu'est vraiment la vie, ce que signifie vraiment être intelligent.
(Carte : WORLD IQ MAP [QNW+SAS] 1.3.3 : Becker, D. (2019). The NIQ-dataset (V1.3.3). Chemnitz, Germany)
©Philippe Gouillou - Mardi 22 octobre 2019