Hypothèse 86 : Patron
Il était fier de s'être remarquablement bien adapté à l'Intelligence Artificielle. Quand ses concurrents avaient montré leur peur, lui avait su être proactif et il y avait énormément gagné.
L'alerte sur son téléphone le fit bondir. Bien sûr, c'était juste un message de sa banque pour le prévenir d'un achat, il en recevait des dizaines par jour, mais celui-la était particulier. Pas son montant, mais ce qu'il signifiait. Il était sûr que jamais, jamais, il n'avait donné un tel ordre, ni n'en avait parlé, ni même y avait pensé.
Il était fier de s'être remarquablement bien adapté à l'Intelligence Artificielle. Quand ses concurrents avaient montré leur peur, lui avait su être proactif et il y avait énormément gagné. Des robots humanoïdes avaient très vite remplacé très avantageusement tous les métiers un tant soit peu manuels, et même sa secrétaire était maintenant une extraordinaire blonde synthétique d'une beauté à couper le souffle. Les postes intellectuels avaient bien sûr déjà été remplacés, l'IA étant beaucoup plus efficace et coûtant beaucoup moins cher qu'un diplômé. Etre maintenant le seul humain de son entreprise lui avait permis de diviser les frais de locaux et tous les autres coûts. Tout marchait pour le mieux.
Il regarda quel robot avait passé l'achat et chercha à le contacter, sans succès. C'était la première fois, son inquiétude montait, il se prit à paranoïser, à se rappeler les vieux films de Science-Fiction. Mais ce robot n'avait jamais montré le moindre signe de volonté de rébellion, juste une froide efficacité, exactement comme le robovendeur le lui avait promis. En fait il était tellement efficace qu'il l'avait mis au poste de DG, en charge de toutes les opérations courantes de la boite. Il restait quand même que, quoiqu'on en pense, cet achat ne rentrait pas dans les "opérations courantes", vraiment pas, c'était véritablement un achat stratégique.
Il maîtrisait mal le nouveau domaine vers lequel cet achat menait. C'était un domaine certes très rentable, mais beaucoup trop complexe et où il fallait des compétences très pointues. Il n'avait jamais eu le temps de s'y former suffisamment, alors il n'avait jamais cherché à en attaquer le marché. Pour les robots c'était pas pareil : il ne leur fallait que quelques secondes de téléchargement, sans même arrêter leurs autres opérations, pour que, comme Neo apprenant le Kung Fu dans le premier Matrix, ils soient parfaitement opérationnels.
Non, il se mettait à penser comme tous ceux qu'il avait tellement critiqués et ridiculisés ces dernières années, il lui fallait se resaisir. Il appela un robot pour le tester.
Le robot vint, lui fit signe de se lever, et emporta son fauteuil.
C'était tout. Il n'était même pas licencié, rien n'avait changé, juste qu'il n'avait plus aucun pouvoir et était maintenant non grata au sein même de son entreprise.
Image : Mentee Robotics, avril 2024
©Philippe Gouillou - Dimanche 21 avril 2024