Hypothèse 34 : Management des Ressources Humaines
Pour que son employé clé ne parte pas.
— Il faut que vous montiez un dossier contre Martin.
— Comment ça ?
— Je ne sais pas, faites-lui une mauvaise évaluation, envoyez-lui des critiques, tout ce que vous pouvez imaginer, il faut qu'on ait un dossier solide contre lui à sortir en cas de procès.
— Mais je n'ai aucun reproche à faire à Martin : c'est le pilier de la boite, on ne peut rien faire sans lui, il est au centre de tout alors qu'il est, et de loin, totalement sous-payé. Au contraire, il faut l'encourager à ne surtout pas partir !
— Vous ne comprenez rien. Ce n'est pas en valorisant quelqu'un qu'on l'incite à rester : au contraire ça le motive à chercher un plus haut salaire ailleurs. Il faut le rabaisser en permanence, répétez-lui ses défauts à chaque fois que vous le voyez, même s'ils n'ont aucun lien avec son travail, dites-lui que certains se demandent ce qu'il fait là, il faut qu'il soit déprimé, qu'il n'ait pas le courage du moindre mouvement. D'ailleurs, en complément et par sécurité, lancez des rumeurs sur le marché : qu'il est compétent mais qu'il a ses défauts, qu'il est autiste, que la société est bien gentille de le garder, plein de choses du genre, que surtout personne ne veuille l'embaucher.
— On peut lancer des rumeurs mais pas construire un dossier mensonger, c'est pas du même niveau, surtout pour un salaire aussi faible !
— Justement, c'est le salaire le problème. Vu qu'une bonne partie de la société repose sur ses compétences, on peut être accusé d'esclavagisme avec un salaire pareil : c'est la prison ferme assurée. Or on ne peut pas l'augmenter sans le promouvoir, et le promouvoir c'est n'avoir plus personne de compétent à son poste, ça coulerait la boîte. On ne peut même pas lui donner une prime : comme je vous le disais ça risquerait de lui donner des idées de départ, et en plus ça déséquilibrerait nos ratios de parité salariale.
— C'est un procès pour esclavagisme que vous craignez ?
— Bien sûr ce n'est pas le terme, mais c'est quelque chose qui va dans ce sens, et il y a bien la prison ferme au bout. Donc, si vous montez un dossier solide contre lui on pourra toujours se défendre en disant que, malheureusement, ses autres caractéristiques ne nous permettaient pas de le payer autant qu'on aurait voulu, un avocat saura bien tourner tout ça.
— Et sinon ?
— C'est vous le Responsable des Ressources Humaines.
©Philippe Gouillou - Lundi 2 septembre 2019