Hypothèse 28 : Droit À l'enfant

L'autorisation administrative de transmettre ses gènes est très difficile à obtenir.

— Ca y est, nous avons obtenu notre permis, il ne nous reste plus qu'à payer la Cotisation Ecologique Enfant et nous pourrons commencer la procédure.

— Bravo ! J'en suis très heureux. Ca a été difficile ?

— Oui, incroyablement plus que je le croyais au départ. Il a d'abord fallu que je leur fournisse tout ce que j'ai publié sur Internet ces 5 dernières années : articles de blogs, posts et commentaires sur les réseaux sociaux, etc. J'ai eu vraiment beaucoup de mal à rassembler tout ça, et ce n'est que la première étape, celle qui sert juste à rejeter ceux qui ont montré ne pas être totalement engagés dans la lutte pour sauver la planète.

— Ils n'ont pas du te poser de problèmes à ce niveau là.

— Oui, en effet, je suis sûr que mon Groupe Facebook de soutien à la politique écologique du Président a beaucoup aidé, mais j'ai quand même regretté ne pas m'être impliqué plus.

— Pourquoi ?

— Eh bien il y a un premier entretien, juste après. Là ils ont bien noté que je cotise depuis plusieurs années au Parti, mais ont beaucoup insisté sur le fait que je n'étais pas membre de son Groupe de Travail Ecologie & Progrès, ils m'ont plusieurs fois demandé pourquoi.

— Tu t'en es sorti...

— Oui, je leur ai expliqué que je passais beaucoup de temps sur mon groupe Facebook à convaincre la population, et que c'était un vrai travail qui ne me permettait pas en plus de mener d'autres actions. Comme mon groupe a 15 000 membres, ils ont fini par l'accepter.

— Et ensuite ?

— J'ai eu à passer beaucoup de tests psychologiques pour voir si je ne montrais pas du racisme implicite. Qu'un homme blanc soit marié, déjà c'est un signe très négatif, mais en plus à une femme blanche ça fait exploser leurs détecteurs de racisme. En conséquence je n'ai pas passé que les tests papier-crayon et en face à face, mais aussi sous EEG et sous IRMf. Finalement je m'en suis assez bien sorti.

— C'était tout ?

— Non, mais après je n'y pouvais plus rien. Il y a eu une enquête de voisinage, et j'ai du installer un mouchard sur mon PC pour qu'ils suivent en temps réel toutes mes activités. On raconte que certains doivent même mettre des caméras et des micros chez eux, mais moi j'ai évité ça.

— Tu as droit à combien d'enfants maintenant ?

— Un seul, mais ça change rien, je n'aurais pas les moyens de payer pour plus.

— Et pour Martine ça c'est passé comment ?

— Pareil, sauf qu'elle a eu des entretiens beaucoup plus poussés. Elle a du raconter toute son enfance, donner le nom de tous les garçons avec qui elle était sortie adolescente, raconter toute sa vie sexuelle, qu'ils ont vérifiée, comment on s'est rencontré, toute notre histoire intime, etc. Elle a même du subir un examen gynecologique pour vérifier que son stérilet obligatoire n'avait pas été modifié.

— Quand même !

— Oui, et à la fin ils l'ont travaillée à fond pour la pousser à avoir un enfant d'un migrant, pour accroître la diversité qui est la force du pays. Je ne sais pas comment elle a fait, mais finalement elle a obtenu le droit de l'avoir de moi. Qu'un couple blanc-blanc, comme ils disent, hors cadres du Parti, soit autorisé est vraiment très rare, on a beaucoup de chance.

— Te voilà donc totalement rassuré : tu vas pouvoir transmettre les gènes de tes ancêtres ! Tu as énormément de chance...

— En fait non, pour tout dire je suis toujours aussi inquiet. Pour Martine c'est sûr : elle aura un enfant. Mais ils nous ont interdit de l'avoir naturellement, on a même l'interdiction absolue de tout contact physique pendant toute la période où elle n'aura plus de stérilet, on doit faire chambre à part. La fécondation sera faite par une injection par seringue, tout ce que je pourrai faire est me masturber dans un flacon que je tendrai à une infirmière. Ils disent que c'est par sécurité. Mais tu connais les histoires où on découvre que c'est le Directeur de la Banque du Sperme qui est le géniteur de tous les enfants ? Eh bien j'ai peur d'un truc du même genre, qu'ils essaient de réintroduire du migrant à ce moment-là, ils en seraient bien capables, pour le bien du pays.

©Philippe Gouillou - Vendredi 26 juillet 2019