23 Sep 06"Se mettre au niveau des Musulmans"https://evoweb.net/blog/-Se-mettre-au-niveau-des-Musulmans-.html
Depuis les débuts du site Douance (il y aura bientôt 10 ans) j'entends fréquemment la critique que les enfants surdoués, puisqu'ils sont plus intelligents, devraient se restreindre pour se mettre au niveau des autres moins doués. Parfois, l'argument va plus loin, disant que la "vraie" définition de l'intelligence serait de se mettre au niveau des autres, d'être accessible ; dans tous les cas il s'agit de la certitude que l'intelligence est un mal et que celui qui en est doté est toujours coupable. Cet argument bizarre est réapparu avec force sur les forums et dans les discussions à propos d'une anecdote faisant la Une dans le monde entier : le discours du Pape à Ratisbonne le 16 septembre dernier. Comme le texte du discours est disponible en ligne en de multiples traductions (ex: en français), chacun a pu vérifier par lui-même ce que le Pape a vraiment dit, mais voilà : le Pape est quelqu'un de brillant, d'extrêmement intelligent, donc il "aurait du" se douter que les Musulmans ne pouvaient pas comprendre son discours, et il "aurait du" se mettre à leur niveau [1]. Un article de Reuters le répète et cite : "Il se peut qu'il ait continué de penser en universitaire allemand, oubliant peut-être qu'il y avait hors de la salle des personnes qui écoutaient", a dit par téléphone le père Tom Reese, du Centre de théologie de l'Université de Georgetown. Bien sûr, ce n'est pas seulement l'Islam que le Pape visait dans son discours sur la foi et la raison, mais aussi et surtout l'athéisme des scientifiques [2]. En gros, le Pape défend l'idée que foi et raison vont nécessairement ensemble : la foi ne peut aller seule, et la raison sans foi est stérile. Pour ma part, je trouve tout cela très brillant, très bien exprimé, très profond... mais absolument pas solide : l'argument papal pourrait facilement être caricaturé en "Dieu a dit que vous avez besoin de lui". Le problème de la religion (quelle qu'elle soit) face à la science n'est vraiment pas récent [3], et un très bel exemple est attribué à Laplace qui aurait répondu à Napoleon qui lui demandait "Et Dieu dans tout ça" : "Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse". Le dieu décrit par le Pape dans son discours est un dieu qui suit la raison, parce que c'est dans sa "nature". Il me paraît un peu surprenant de limiter dieu ainsi, et dans ce cas l'argument attribué à Ibn Hazn par le Pape me paraît tout aussi possible, même s'il présente un énorme problème que nous verrons plus bas : "L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. L'éditeur Théodore Khoury commente : pour l'empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu'à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l'obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l'homme devrait même pratiquer l'idolâtrie. " Bien sûr, chaque culture, et même celles qui sont devenues des civilisations, s'invente le ou les dieux qui lui conviennent : belliqueux pour la guerre, généreux en cas de famine, Dieu est la solution à tous les problèmes, concrets et philosophiques. Chaque tribu a son mythe fondateur, et je me souviens avoir lu Richard Dawkins qui exprimait sa surprise face au fait que parmi les milliers, voire millions de mythes fondateurs ayant existé ou existant encore, c'est celui d'une petite tribu du Moyen-Orient qui est à la base des croyances de la moitié de la population mondiale. Face aux mythes fondateurs, la science est destructrice. Bien sûr, on trouve des créationnistes qui vont expliquer que le Big Bang est la preuve scientifique de l'existence d'Allah (en négligeant le Big Crunch !) [4], mais fondamentalement le fait d'expliquer que la foudre n'est pas l'expression de la colère de Dieu mais tout simplement une histoire de décharge électrique fait reculer le pouvoir de Dieu, et donc aussi celui des religieux. Devant une telle attaque, l'Islam ne pouvait, par principe même, s'adapter [5], comme Charles Murray le remarque (et c'est le problème cité plus haut) : "Mais l'Islam, plus que le Christianisme à n'importe quel moment de son histoire, voyait aussi Dieu comme soutenant l'univers sur une base continue, et comme une déité qui n'est pas liée par des lois immuables. Proclamer que la vérité scientifique s'applique au travers de l'univers et au travers du temps pouvait facilement devenir blasphème, en impliquant des limites à ce que Dieu pouvait ou ne pouvait pas faire" 6] Cependant, le fait que l'Islam ait été stérilisant ne signifie pas que toutes les religions le sont, et Charles Murray va jusqu'à remarquer que la religion, en donnant une transcendence à la vie et en facilitant la cohésion, est un facteur important d'excellence. A propos de l'Age d'Or de l'Islam, pourquoi il est apparu et pourquoi il n'a pas duré, il écrit deux pages avant la citation précédente : "En résumant et simplifiant : l'Islam a fourni un sens de l'objectif et une vitalité qui ont aidé comme moteurs à son âge d'or, mais l'Islam ne pouvait s'accommoder du degré d'automie requis pour le soutenir." [7] Ce n'est pas le fait qu'il y ait croyance ou non en un ou des dieu(x) qui importe, mais les attributs qu'on lui (leur) confère et la forme que prendra la religion. On remarquera d'ailleurs que certains scientifiques, même de tout premier plan, sont profondément religieux et le justifient bien (exemple : Robert Auman, Prix Nobel d'Economie pour ses découvertes en Théorie des Jeux [8]). Et si, en rapport au nombre de croyants, c'est le Judaïsme qui s'est avéré, et de loin, le plus fécond scientifiquement, on ne peut pas dire que le Christianisme ait vraiment bloqué les découvertes de ces derniers siècles. Il n'empêche : au fur et à mesure que les recherches avancent, que les découvertes s'accumulent, l'hypothèse "Dieu" apparaît de plus en plus inutile, voire contre-productive, des scientifiques de premier plan comme Richard Dawkins clâment leur athéisme, et Benoît XVI en est contraint à quémander une place pour son dieu. Du discours universitaire de Ratisbone, tout le monde ou presque aura retenu la citation sur l'Islam et le fait que les Musulmans demandent des excuses (en respectant une stratégie déjà décrite), mais l'essentiel me semble être le reste, tout ce débat sur foi et raison, religion et science. C'est un débat intéressant, qui implique de nombreux domaines et qui est loin d'être figé. Il reste énormément de points où il serait intéressant d'entendre Benoît XVI : comment répondra-t-il aux découvertes que la la religion a été sélectionnée ? [9] Comment se défendra-t-il face aux remises en cause de plus en plus solides de l'existence historique de Jésus [10] ? Et en allant plus loin : comment gérer à la fois la remise en cause des religions et le besoin inné de religion chez de nombreux humains ? Nous vivons des temps intéressants, un âge d'or tel que la terre n'en a jamais connu. La science a permis de transformer le monde, de nourrir plus d'habitants que jamais, de prolonger la vie et de la rendre plus intense, plus enrichissante. Et au delà de la technique qu'elle soutient, la science nous offre une comprehension du monde qu'aucune religion n'a jamais pu apporter. Tout le monde en profite, de l'enfant malade qui bénéficie des découvertes médicales jusqu'aux chercheurs qui découvrent d'autres mondes. Bien sûr, tous ne peuvent pas suivre : la science est devenue trop complexe, pour comprendre la moindre de ses disciplines il faut maintenant s'y spécialiser, plus personne n'a de vision globale, certains paniquent. Mais doit-on le regretter ? Doit-on retourner à l'époque religieuse ? De nombreux enfants surdoués passent leur temps à se mettre au niveau des autres, au point fréquent de cacher totalement leur surdouement et, dans les cas les plus graves, de restreindre directement leur cerveau (automutilation intellectuelle). Ce que cherchent à nous imposer les interviewés de cet article de Reuters n'est rien d'autre que d'imiter ces enfants malheureux.
NOTES :
©Philippe Gouillou
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