Imaginez trois enfants, d'égale aptitude, naissant à la même époque dans trois familles de niveau social équivalent mais dans des cultures religieuses différentes.

Dans la première, la religion impose de se référer systématiquement aux "textes saints", de les appliquer strictement selon les interprétations données par les aïeux, qui ne peuvent être remises en cause. Dans cette culture, la religion règle tout, ce qui appartient à Dieu comme ce qui appartient à César, parce que César y est le représentant de Dieu, et toute la vie en est marquée : la gestion de la cité, la justice, les règles de mariage, même les actes les plus insignifiants de la vie quotidienne, tout y est entièrement soumis.

Dans la seconde, la règle est moins stricte : les religieux prônent la distinction entre le temporel et le spirituel, et s'ils revendiquent le monopole de ce dernier, leurs diktats sont moins définitifs. Les textes fondateurs sont encore étudiés, et récités et acclamés chaque semaine dans les temples, mais il est reconnu qu'ils doivent être interprétés, qu'ils ne sont souvent que des paraboles, des images, des métaphores.

La dernière culture se distingue des deux autres : d'un côté la religion y tend à régenter chaque instant de la vie, comme dans la première, mais de l'autre elle impose l'interprétation des textes sacrés. Nul ne peut y être reconnu s'il n'apporte une nouvelle analyse, une nouvelle vision plus profonde, une nouvelle compréhension des textes sacrés : la remise en cause est permanente.

Rien ne distingue nos trois enfants imaginaires, sinon les règles religieuses qu'ils doivent subir, auxquelles ils doivent s'adapter. Les années passent : ils étudient la religion de leurs ancêtres, découvrent les règles de leur société, s'y positionnent, s'y font une place.

A votre avis, toutes choses égales par ailleurs, lequel sera le plus créatif intellectuellement ? Lequel sera le plus limité ?

Elargissez la vue maintenant : ce ne sont plus trois enfants, mais des générations qui se succèdent, les unes après les autres, pendant des siècles et des siècles. Chacun des enfants qui y est né est soumis aux contraintes de la religion de son époque et de son lieu. Plus celle-ci est envahissante, et plus il aura du s'y adapter, plus ses chances de réussite dans la vie en dépendront. Certains enfants y ont particulièrement bien réussis, ils sont devenus l'élite de leur société, ont fait de beaux mariages, ont eu plus d'enfants, de petits-enfants, un meilleur fitness. Les plus mauvais à ce jeu auront été les grands perdants de l'évolution : trop rebelles dans une religion, ou pas assez brillant dans une autre, leurs chances auront été restreintes.

A votre avis, sachant que le QI est partiellement d'origine génétique, quelle population présentera à terme le plus haut niveau moyen ? Le plus bas ?

Quelles seront alors les chances que les trois enfants naissent d'égale aptitude ?

Cette histoire est bien sûr caricaturale, et personne ne peut imaginer que de telles religions aient jamais pu exister. Dans les faits, une culture n'est jamais monolithique, il est rare que l'élite d'un pays suive les règles qu'elle impose à sa population, et il y a toujours plusieurs hiérarchies parallèles. D'un autre côté, il y a plusieurs éléments que je n'ai pas cité qui viendraient renforcer l'effet sélectif : l'enfant né dans un environnement stimulant bénéficierait de ce qui a été créé par les autres avant lui, alors que son opposé devrait à chaque fois repartir de zéro.

Bref, cette histoire est trop simpliste, mais je me dis que sa simplicité même aidera peut-être certains à comprendre que le lien entre culture et QI est bien dans les deux sens, comme le précise le terme même d'interaction, et qu'il y a rétroaction positive (qui renforce).

©Philippe Gouillou