Tout le monde sait maintenant que ceux qui voteront non le 29 mai prochain au référendum sont des incultes xénophobes dangereux qui enverront la France dans le mur en détruisant 50 ans de construction européenne, si ce n'est pire. Le risque est tellement grand et la catastrophe qui s'ensuivrait tellement évidemment tragique qu'on se demande si on peut laisser voter de tels dangers pour la société : ne devrait-on pas les enfermer pour leur apprendre à respecter la diversité ?

 
D'un autre coté, bizarrement, certains qui entendent ces discours à haute dose se posent des questions sur l'intérêt d'un tel référendum : "Si le oui est obligatoire, pourquoi voter ?" Il en est même qui se demandent si cette propagande ne va pas avoir pour effet de provoquer une montée du non : "Ben oui le français est curieux de nature, alors si on lui dit "tu peux voter non mais faut surtout pas le faire", vous pensez bien qu'il va voter non juste pour voir :-)))" (J.A.) D'autres, bien sûr, seront effrayés par ces discours, et basculeront du coté du oui.

Une telle stratégie n'est pas une nouveauté en France : on est très proche de ce qui s'était passé la semaine suivant le 21 avril 2002. A l'époque, la diabolisation avait été productive : 82% des votants avaient suivi le discours officiel. Il y a cependant une différence : à l'époque, les préférences étaient marquées préalablement à la diabolisation. On peut se demander si celle-ci a fait perdre quelques pourcents à Le Pen, mais il est difficile d'imaginer qu'elle ait été à l'origine de sa défaite.

Pour la Constitution Européenne, les avis sont beaucoup moins pré-définis, en fait presque personne ne peut savoir où sont ses préférences. La grande majorité des Français est bien sûr pro-Européenne, mais combien d'entre eux croient que c'est cette organisation ("constitution") particulière de l'Europe qui est la plus adaptée ?

En d'autres termes, le jeu est beaucoup plus ouvert qu'en 2002, et l'efficacité (ou l'effet contre-productif) de la propagande en faveur du oui y sera beaucoup plus marquée : le référendum ne va pas mesurer l'avis de la population sur le Traité, mais plutôt sa réaction face à cette diabolisation. Au soir du 29 mai, on ne saura pas si les Français sont pour ou contre ce TCE, mais comment ils ont réagi à une technique de manipulation particulièrement agressive : en s'y soumettant, ou en s'y opposant.

Le référendum doit donc être vu principalement en tant que test grandeur nature d'une technique de manipulation. Nul doute que ses résultats seront exploités dans les années à venir.

©Philippe Gouillou