J'ai 65 ans et plus, je suis sur la fin de ma vie. Que restera-t-il de moi ? Quelques écrits peut-être, quelques influences ponctuelles, hasardeuses. Quoi d'autre ? Ai-je fait ce pour quoi j'étais programmé ? Non, je n'ai pas d'enfant, mes gènes disparaissent avec moi. Zéro de fitness.
Arrive un médecin qui me dit "Tout n'est pas perdu, j'ai mis au point une nouvelle technique, vous pouvez avoir un enfant, transmettre vos gènes, vous pouvez laisser votre marque pour la prochaine génération." L'espoir renait, mon fitness remonte, existe enfin. Faut-il que d'autres me l'interdisent ?
Voyons les arguments en direct.
D'un coté, il y a mon fitness, mes chances que mes gènes se retrouvent à la prochaine génération, l'application de cette programmation qui m'a permis d'exister, parce que d'autres avant moi l'ont suivie. Je suis née parce que mes ancêtres ont tous, sans exception, eu des enfants, que la chaîne s'est poursuivie, et je devrais stopper leur quête, mettre fin à ce pour quoi ils ont lutté, alors même que j'ai envie de les aider ?
De l'autre, il y a tous les arguments que l'on me sort, et la plupart ont une validité limitée.
Ce n'est pas "naturel". Qu'est-ce qui est naturel ? Est-il naturel de prendre des médicaments pour guérir d'une maladie qui aurait décimée nos ancêtres ? Est-il "naturel" de passer une grande partie de sa vie devant un clavier d'ordinateur ? Est-il "naturel" de conduire une voiture ? prendre l'avion ? Le plastique est-il "naturel" ? Tout est naturel !
L'enfant serait malheureux ? Qu'est-ce qu'ils en savent ? Le bonheur est une question d'hormones, le bonheur c'est d'abord une question génétique, il sera heureux s'il est programmé pour, et il a beaucoup de chances de l'être.
L'enfant risque d'être malformé. Et alors, n'est-ce pas le risque pour toute naissance ? Et puis il aura bénéficié de tests génétiques, il n'aura aucune de ces maladies connues qui pourrissent la vie de tant d'enfants nés "naturellement". Peut-être sera-t-il malformé, on n'est jamais sûr de rien, mais le risque est trop faible.
Et puis, la morale ne met-elle pas la vie avant tout ? Une personne malheureuse ne devrait pas vivre ? Devrait-elle se suicider ? Pour les Chrétiens, la souffrance sur terre n'est rien en regard du bonheur du Paradis : la souffrance est finie, et le fini divisé par l'infini donne zéro. Et les Chrétiens me font des reproches alors que je crée une nouvelle vie perpétuelle ?
L'enfant sera vite orphelin, et sera à la charge de l'Etat, c'est-à-dire des autres, qui donc ont le droit de décider, c'est leur argent. Tout d'abord ce n'est pas vrai : même si je meurs jeune, je lui laisserai assez d'argent pour qu'il puisse très bien vivre sans même l'aide de l'état. Et ensuite, même si c'était le cas, à quoi auraient servi tous les impôts que j'ai payé au cours de ma vie ? Uniquement pour le fitness des autres ? Dois-je continuer de payer pour toutes celles qui font beaucoup plus d'enfants qu'elles n'en peuvent assumer, et ne jamais en bénéficier ?
C'est de l'égoisme pur et dur. Oui, et alors ? N'est-ce pas aussi de l'égoisme "pur et dur" chez toutes ces femmes qui font tout pour se faire engrosser par n'importe quel mâle potentiellement bon géniteur ? Faire un enfant est fondamentalement égoiste, quand c'est voulu. Pourquoi cet égoisme serait-il réservé aux autres ?
D'un coté il y a ma dernière chance de transmettre mes gènes à l'éternité, de l'autre il y a une foule qui voudrait conserver le contrôle de mon fitness, décider pour moi de l'avenir de mes gènes. D'un coté, il y a un infini potentiel, de l'autre il y a un fini réel. Le rapport est toujours le même : infini/fini = infini, fini/infini = zéro. Les autres n'ont pas à décider pour moi, surtout pas dans ce domaine.
©Philippe Gouillou
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