Elle a 19 ou 20 ans, est donc deux fois moins âgée que nous.
J'ai appris qu'en cherchant "sex shop" sur un moteur de recherche pornographique, on tombait sur mon CV, et que par le jeu des frames, ce dernier me faisait apparaître entouré de photos X. Mon ami remarque : "Vu les titres que tu choisis, c'est un peu logique", et, à l'ouverture de la page : "Bref, rien qu'on n'ait déjà vu des centaines de fois, mais le contraste est quand même amusant".
Elle blêmit. A notre âge en effet, tous les deux mariés, une nudité de plus ou de moins ne change plus grand chose, non pas que nous soyons blasés, mais nous sommes plus qu'habitués. Au sien, pouvoir offrir sa nudité est un atout important. Sans s'en apercevoir, mon ami vient de réduire la valeur de cet atout.
Expliquons. L'homme est très visuel : il est très vite, quasi immédiatement, excité par la vue d'une femme nue, ou d'autres personnes en cours de rapports sexuels. Le fait que l'évolution ait favorisé cette rapidité s'explique facilement : la compétition sexuelle ne s'arrête pas à l'accès aux femelles, mais il y a la guerre du sperme ensuite, et les plus rapidement opérationnels y ont un avantage certain. Cette excitation n'est cependant pas automatique : pendant la plus grande partie des millions d'années d'évolution, la nudité était la norme, et un mâle en permanence exicté n'y était pas avantagé. En conséquence, c'est le contraste avec la situation habituelle qui provoque l'excitation. Un homme habitué aux camps naturistes et aux clubs échangistes sera moins directement excité par la simple nudité qu'un autre ayant une vie plus rangée. On pourrait présenter les choses autrement en disant que c'est le message qui compte : une femme enlevant sa burka est sans doute plus excitante pour un Afghan des montagnes qu'une femme enlevant son pantalon sur la plage ne l'est pour un touriste du Cap d'Agde. Par contre, ce même touriste sera immédiatement excité si le déshabillage de la femme s'adresse à lui, lui envoie un message de disponibilité sexuelle.
Cette puissance d'excitation de la nudité sur les hommes est un pouvoir extraordinaire aux mains des femmes. Montrer une belle femme nue à coté d'un produit augmente la valeur ressentie de ce produit, et donc les ventes. Une femme un peu sexy aura un contact plus facile avec ses collègues et/ou ses clients. Mais, hélas, il y a habituation : il faut toujours aller plus loin, être toujours plus sexy ou plus provocante, la compétition ne s'arrête pas. Cette habituation provoque une baisse du pouvoir des femmes : là où avant il leur aurait suffit de montrer un bout de bras pour mettre un homme à leur pieds, celui-ci ne les regardera même plus quand elles seront seins nus sur la plage. Sauf bien sûr les plus belles, mais qui elles n'ont pas besoin de beaucoup montrer. En d'autres termes, un homme habitué à voir des femmes nues, que ce soit sur la plage, en club, ou via des sites web, est moins manipulable par les femmes : il a gagné une liberté. Et on retrouve cette habituation au sein même du couple : "Je les ai déjà vus" dit Michael Douglas à Sharon Stone qui lui expose ses seins dans Basic Instinct, ce qui l'oblige à augmenter artificiellement par la menace la valeur de son exhibition : "Tu ne les verras peut-être plus bientôt".
Le message qu'avait, involontairement, envoyé mon ami à cette jeune femme était : tu n'as pas ce pouvoir sur nous, ta nudité n'est pas une arme absolue, il faut autre chose. Normal qu'elle n'ait pas aimé. Que peut-elle y faire ?
Tout d'abord, elle apprendra vite qu'en effet ce pouvoir n'est pas aussi important qu'elle le croit, mais qu'elle a d'autres atouts : comme nous l'avons vu, il suffit qu'il y ait message de disponibilité pour provoquer l'excitation. Elle apprendra vite à jouer de ce message, à le simuler, à mentir.
Ensuite elle pourra essayer de remettre les compteurs à zéro, de baisser le niveau moyen de nudité, bref de redonner de la valeur à la simple nudité. Elle pourra manifester pour que les publicités ne montrent pas tant de femmes quasi nues, ou alors que les top models soient moins jolies ; elle peut manifester pour que les règles de décence soient plus strictes ; etc. Bien sûr, le problème de ces actions collectives est qu'elles comptent sur l'accord de toutes, or il y aura toujours des traitres, certaines femmes ne joueront pas le jeu, et le dénigrement ne suffira pas toujours à les mettre hors jeu. La situation est exactement la même que celles de sociétés sur un marché concurrentiel : l'entente sur les prix ne peut marcher que si aucun traître ne vient la casser, et dénigrer ce concurrent non docile ne suffira pas toujours à sauvegarder l'entente.
Dans une société totalement libre, où les femmes pourraient se promener comme elles le souhaitent, quelque soit leur habillement (y compris absence totale de vêtement), le niveau de compétition serait beaucoup plus élevé que dans une société comme celles où nous vivons, où des règles et lois de "décence" interdisent les tenues trop provocantes. Dans une telle société, la concurrence se déplacerait sur d'autres niveaux : en fait, la nudité en elle-même aurait perdu toute valeur, il faudrait autre chose pour séduire. Les femmes auraient totalement perdu leur arme absolue, et devraient inventer de nouveaux positionnements, de nouveaux critères.
Fondamentalement, le problème est celui de la limitation de la concurrence. En règle générale, une plus grande concurrence bénéficie au consommateur, mais le producteur en souffre, et il a tout intérêt à essayer de la limiter. C'est ce que l'on retrouve à tous les niveaux de la compétition sexuelle : les lois posent des limites sur l'âge des premiers rapports, autorisent ou interdisent la polygamie, définissent le niveau de "décence", etc. En fait, une société ne se définit pas seulement par les critères de dominance qu'elle met en avant, mais aussi par les règles qu'elle impose pour limiter la concurrence sexuelle.
Le pire, c'est quand ce sont les règles elles-mêmes qui changent : chacun s'est battu pour se positionner au mieux et gagner dans le jeu, et tout d'un coup le jeu n'est plus le même, le positionnement obtenu n'a plus la même valeur, n'en a plus du tout, ou même apparaît négatif. Notre jeune fille de 19 ans est née dans un monde où sa nudité aurait un jour de la valeur, et tout d'un coup, elle comprend que cette nudité est tellement fréquente que sa valeur a baissé : les règles ont changé.
©Philippe Gouillou