9 Mai 04"C'est la mode"https://evoweb.net/blog/-C-est-la-mode-.html
Une soirée, bien arrosée. Un homme d'une quarantaine d'année apparaît très insistant, auprès d'une femme de moins de 25 ans. Même si le cadre est à l'origine professionnel, il n'y a pas à proprement parler de harcèlement, aucune menace n'étant formulée, juste un comportement très lourd. Mais la jeune femme le prend mal, très mal, en est durablement traumatisée. Elle appelle la hiérarchie, demande à changer d'équipe, à ne plus travailler avec cette personne, à ne plus pouvoir le rencontrer, mais n'obtient aucune écoute. Finalement, l'affaire explose : elle écrit un rapport, qui fait grand bruit.
La femme qui me raconte cette anecdote a une quarantaine d'années. Elle me dit : "Il semble qu'il y a eu un glissement de mentalités : à notre époque, nous n'étions pas habillées si légères, mais on aurait moins été choquées par de telles attitudes, du moins on aurait su faire face. Les messages des vêtements ne sont plus les mêmes". Dans un de ses livres, Paul Watzlawick (Ecole de Palo Alto) raconte qu'un problème du même type s'était posé entre les Américains et les Anglaises, juste avant le débarquement. La séduction passe par plusieurs étapes, quasi obligatoires, mais l'ordre de ces étapes peut différer entre les cultures. Ainsi, pour la culture américaine, celles des GIs présents, majoritairement des hommes, embrasser n'était pas très impliquant, alors que coucher l'était fortement, plusieurs étapes s'interposant entre les deux. Par contre, pour les Anglaises, embrasser était une étape très proche de celle du rapport sexuel. Quand un Américain cherchait à séduire une Anglaise, il voulait bien sûr très vite l'embrasser : passer une première étape. Mais pour elle, embrasser voulait quasiment dire accepter de coucher, et elle se sentait forcée. Mais si elle acceptait, alors très vite elle couchait. Watzlawick raconte que l'image de chaque culture en a été profondément marquée : les Américains, surpris par cette rapidité du passage d'une étape à l'autre, ont considéré les Anglaises comme des filles faciles, des putains, et les Anglaises ont trouvé les Américains beaucoup trop entreprenants, obsédés. L'homme trop entreprenant de cette soirée se trouvait dans cette même situation de décalage d'étapes de séduction : pour lui, la tenue hyper-sexy était une marque d'acceptation sexuelle, pour elle, il ne s'agissait que de correspondre à ce qui se fait aujourd'hui. On retrouve exactement le même problème dans les accusations souvent portées contre les plages par les moralistes et les groupes religieux : se montrer en maillot de bain est pour eux quelque chose de très intime, c'est-à-dire une étape très proche de l'acte sexuel, alors qu'il n'en est rien pour nombre de personnes qui ne pensent qu'à profiter du soleil et de la mer [1]. Ce problème d'étapes est particulièrement crucial à l'heure de l'invasion du voile islamique. Il n'y a cependant pas que cela en jeu. Tout d'abord, la jeune femme de l'histoire n'est pas totalement innocentée par la mode : elle a bien choisi de la suivre. Le décalage n'est pas entièrement de la faute de l'homme (attardé) mais aussi d'elle, qui n'a pas su se conformer à la culture du groupe où elle se trouvait. Peut-être même [2] s'était-elle habillée ainsi à dessein, dans le but d'attirer l'attention, mais d'une autre personne. David Buss signale que les femmes sont plus susceptibles de se sentir harcelée si le comportement critiqué vient d'un éboueur que d'un cadre supérieur. Et qui n'a jamais entendu une femme se plaindre d'un "Il ne m'a même pas regardé!" ? Ensuite, on peut rapprocher cet habillement de celui des jeunes lolitas, qui dès 11-12 ans (dès 8 ans, me dit une mère effondrée) cherchent à s'habiller le plus sexy possible. Bien sûr les parents sont inquiets : si un "malade" passe dans le coin, ne va-t-il pas mal interprêter ces tenues, et tenter de violer ces fillettes ? Chez ces lolitas, on est assuré que leurs tenues ne visent pas les hommes (ce qui est moins assuré en provenance d'adultes), mais uniquement leur groupe de pairs : les autres fillettes de l'école. En d'autres termes, la compétition sexuelle se situe à l'intérieur du groupe sexuel [3]. Dans ce cadre, la phrase "C'est la mode" est-elle à prendre véritablement dans son sens premier, c'est-à-dire que cette jeune femme ne ciblait aucun homme présent ce soir-là, mais cherchait uniquement à se positionner par avance auprès des autres femmes du groupe. Alors, évidemment, être pris pour une putain par un homme présent allait certainement à l'encontre de l'objectif. Comme pour les lolitas, cette forme de compétition a un coût, qui est loin de n'être que financier. Plus la mode est courte, légère, sexy, moins les vêtements peuvent cacher les imperfections : la femme est obligée de montrer son corps tel qu'il est réellement, avec ses défauts, elle a perdu une des dernières aides qui facilitent le bluff. Cette jeune femme considérait peut-être [2] que son âge et ses formes la positionnaient avantageusement, et elle pouvait profiter de la mode. D'un autre coté, le diktat de la mode est un coup fatal à beaucoup de femmes (l'immense majorité) qui ne peuvent suivre. Le niveau des prérequis a monté : il ne suffit plus de savoir se tenir debout pour sortir, il faut aussi disposer d'un corps aux formes suffisamment harmonieuses pour pouvoir être montré, voire avantageusement comparé avec celui des mannequins exposées partout. Et le stress augmente. Bien sûr, de nombreuses femmes ont voulu s'élever contre cette augmentation de la concurrence, et imposer des règles qui leur permettent une libération de la compétition. Malgré le risque de trahison interne [4], certaines ont réussi, provisoirement. C'est le cas des Iraniennes qui à la fin des années 1970 ont imposé le hijab pour se libérer du regard des hommes. Ca a été un grand succès : aucune femme ne peut plus se montrer telle qu'elle est. Mais ça n'a pas limité la compétition : celle-ci semble se porter maintenant sur ce qu'il y a dessous le hijab, la lingerie, au point nous disent certains articles que police des moeurs a dans ses missions de soulever les robes pour vérifier que les femmes ne portaient rien de sexy en dessous. De nos jours, en Occident (US comme UE), de nombreuses femmes cherchent à promouvoir la libération que représente pour elles le port du hijab. Je feuilletais hier un magazine féminin pour hommes ("Men's Health"). La plus grande part du contenu était consacrée aux techniques de séduction : comment obtenir une femme plus belle, des "trucs secrets pour" coucher, ou rompre ou s'en sortir en cas de difficulté. L'homme doit avoir le ventre plat (barrettes de chocolat, plutôt que mousse au chocolat), être musclé mais pas body-buildé, avoir de l'humour (l'intelligence étant peu appréciée des femmes dans un sondage), un pénis ni trop petit ni trop grand, etc. etc. Bien sûr, il ne faut surtout pas qu'il s'habille n'importe comment : un jean ira très bien, mais uniquement s'il est porté avec un blouson en cuir et des derbys ciré, la ceinture de la même couleur, la chemise négligemment portée. Il ne suffit plus à un homme d'avoir réussi, ou d'avoir de l'avenir, ou de pouvoir apporter des ressources : il doit aussi correspondre à tout un ensemble de critères, tous n'étant pas directement liés à des critères connus (fortune, réussite, etc.), mais aussi à des critères de mode, arbitraires. Sur une même page j'ai trouvé des publicités pour : la lutte contre la calvitie, des cours de séduction, une chaine de sex-shops, etc. Il n'y a pas que les femmes qui voient leur niveau de compétition augmenter, c'est encore pire chez les hommes. Cette très forte augmentation de l'intensité de la compétition sexuelle, chez les deux sexes, est une caractéristique essentielle de la société occidentale moderne. Comme à chaque fois qu'il y a plus de concurrence, le consommateur y gagne, mais les producteurs sont plus stressés : le problème est qu'ici tout le monde est à la fois producteur et consommateur. D'autres cultures ont réussi à préserver des règles d'évitement de la compétition, des règles morales strictes. Bien sûr, elles ne peuvent lutter, ne sont plus à la hauteur, et ne peuvent pour survivre qu'imposer violemment leurs règles, faire la guerre. NOTES
©Philippe Gouillou Adresse de trackback pour cet article:htsrv/trackback.php/19
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